jeudi 19 avril 2012

Carnet de bord de Fabian – La Paz, Sorata, la route de la mort et Coroico (09/01/12 – 16/01/12)

Le lendemain, le nus nous amène à La Paz où on retrouve, sous une pluie torrentielle, nos amis colombiens qui n'avaient pas pris la même compagnie de bus que nous. Ils sont maintenant accompagnés de Sophie, une Française qui, après avoir passé plusieurs mois dans un orphelinat au Pérou comme bénévole, a décidé de voir un peu du pays.

Nous sommes bien tous d'accord sur le fait que nous ne voulons pas nous éterniser à La Paz, les capitales d'Amérique du Sud se ressemblant tellement.

On trace alors notre route jusqu'à Sorata dès le lendemain, afin de retrouver un peu de verdure. On n'est pas déçu, on trouve la Casa Reggae, une auberge pour mochileros où on profite de la sérénité et du soleil pour se reposer et faire de l'artisanat.

A la Casa Raggea dans le petit village de Sorata.
On profite également d'un petit rio avant de repartir le lendemain jusque La Paz.

Une petite rivière coulant dans le bas du village de Sorata.
A La Paz, nous tombons sur un hôtel backpackers sympa, proposant un ensemble d'activités pour les touristes. On décide avec Sophie la Française de louer des vélos pour faire « la route de la mort ». 3500 mètres de dénivelé sur une route anciennement réputée pour être la plus dangereuse au monde. Il s'agissait surtout de la route à prendre pour rejoindre Coroico, la porte de la jungle... L'idée de faire le trajet en vélo avait en même temps un côté fun et rassurant (plus sûr en vélo qu'en bus !).

Oh yeah, la route de la mort en vélo !

C'est beau, on voit qu'on approche de la jungle.
Il est vrai que sur cette route, on voyait mal un bus croiser un camion.

Ceci n'est pas une pub.
Nous étions une meute de vélos « high tech », tous habillés des mêmes habits de la société de tourisme « El Solario » pour « nous reconnaître ». On avait l'air con, mais qu'est-ce que j'ai eu bon toute allure dans ce paysage grandiose ! Parfois, le précipice faisait plusieurs centaines de mètres de profondeur. Au fur et à mesure qu'on descendait, le temps se réchauffait et la végétation devenait de plus en plus tropicale.

La route de la mort
En fin de journée, on arrive dans un petit bled à proximité de Coroico. On récupère nos gros sacs dans la camionnette, laissant les autres touristes retourner à La Paz, tandis que nous cherchons un collectivo pour aller jusqu'à la ville. Cheveux dans le vent, à l'arrière d'un pick-up qui nous prend pour une croûte de pain, j'essaye de m'imaginer à quoi ressemble « la selva », la jungle que j'ai envie de voir depuis l'Equateur.

Sophie, qui était malade depuis la nouvelle année, a de plus en plus mal aux poumons, et la longue balade à vélo n'a pas arrangé les choses. Sophie, le soir, n'était vraiment pas bien. Marie l'accompagne à l'hôpital où on obtient un rendez-vous pour le lendemain matin.

La petite ville de Coroico
L'hôpital où nous nous rendons le lendemain ressemblait plus à une école maternelle qu'à un lieu de soin. Tout le personnel vient voir « la » malade de l'hôpital. Le diagnostic est posé : pneumonie, elle doit rester hospitalisée une semaine.

Malgré que l'hôpital me semblait bien plus hygiénique que celui que j'avais pu voir au Pérou, il a fallut aller chercher nous-mêmes de l'Ibuprofen en ville, parce que l'hôpital n'en avait pas. Je me demande comment font les gens seuls dans un cas pareil...

Un peu ennuyés de laisser Sophie seule dans un hôpital en Bolivie, mais néanmoins rassurés par la prise en charge de l'hôpital et la gentillesse du personnel, nous décidons de prendre le bus pour Rurenabaque, après avoir pris le soin d'acheter à Sophie un stock d'eau, de cacao, de biscuits, de chips, de magazines et de PQ,

On apprendra par la suite que Sophie est sortie de l'hôpital une semaine plus tard, en pleine forme !

mercredi 18 avril 2012

Carnet de bord de Fabian – Copacabana (06/01/12 – 08/01/12)

D'habitude, je déteste les postes frontières. Ils sont la cristallisation, la matérialisation d'une contradiction accablante de la mondialisation. Alors que les capitaux traversent les frontières, comme munis d'un laisser-passer international, on accorde beaucoup moins d'importance à la liberté de circuler des personnes. Au contraire : on la limite, on la contrôle, on la surveille, on la bloque. 

Toujours le même rituel. Un homme en chemise est assis dans un bocal de verre. Il ne dit rien, vous savez ce que vous avez à faire. Vous avez déjà préparé votre passeport alors qu'une longue file docile patiente devant vous. Et c'est les mains moites, qu'à votre tour, vous tendez le document. L'homme dans son bocal travaille comme dans une chaîne de montage, la pièce d'identité il la manipule, la feuillette, vérifie d'où vous venez, si la photo correspond bien à l'original. Puis, d'un geste mécanique, il écrase lourdement un tampon qui laisse sur votre document un cachet vous donnant droit à un certain nombre de jours sur le territoire. Ça y est, vous êtes certifié conforme à la circulation sur le territoire national pour un temps déterminé.

La frontière entre le Pérou et la Bolivie est de loin la plus tranquille qu'on ait pu connaître jusqu'à présent. On descend du bus pour passer le poste frontière à pied. On passe dans le bureau péruvien pour avoir le cachet de sortie du territoire, puis dans un bureau bolivien pour le visa. Ensuite nous passons sous un grand arche derrière lequel le drapeau vert, jaune et rouge nous indique qu'on est en Bolivie. Pas de barbelé, pas de hordes de militaires. On ne vous regarde pas comme si vous étiez un dangereux terroriste ou un de ces « profiteurs » étranger.

Bienvenue en Bolivie !
 Le poste frontière parait bien symbolique là, au milieu des champs, avec le grand lac Titicaca étendu entre le Pérou et la Bolivie, comme narguant cette entreprise humaine en rappelant que la nature n'a pas de frontière.
C'est à ce moment-là que nous rencontrons Sebastian et Andres, deux Colombiens, un plus petit aux cheveux courts, habillé de vêtements sobres, qui contrastait avec l'apparence plutôt extravagante de son compagnon de voyage. Andres avait des peintures sur le visage attirant l'attention de tout le monde. Pour certains c'était également une crainte qui se manifestait. « C'est une protection qu'on m'a faite au Pérou » nous explique-t-il.

On descend du bus à Copacabana, une ville touristique en bordure nord du lac Titicaca. Les Colombiens cherchaient un endroit pour camper, tandis que Delphine, la trompettiste de notre groupe de musique qui nous devançait d'un mois, nous avait renseigné un hôtel sympa pour 8 bolivianos la nuit (à peu près 1 euro). On promet aux Colombiens de se revoir.

L'hôtel se trouvait en périphérie de la ville, nous transpirons sous le soleil de plomb, mais surtout nous manquons réellement d'air à cause de l'altitude. Il faut savoir que le lac Titicaca est le lac le plus haut du monde, perché au-dessus des montagnes à 3000 mètres d'altitude. Parfois, à bout de souffle, nous posons tout notre chargement, le temps de se remettre. C'est chaque fois une certaine libération quand on trouve l'auberge sympa où on sait que notre gros sac restera quelques jours.

Arrivés à l'hôtel, Mariella nous accueille. Elle a l'air assez simpliste, et je me demande si elle est la patronne de ce lieu. L'hôtel était sale. Au bord de l'évier avait pourri pendant plusieurs jours des restes de nourriture. Prendre une douche m'avait donné l'impression d'être plus sale qu'avant, et je suis content d'être un mec et de pouvoir pisser debout. Néanmoins, il reignait une ambiance conviviale, festive et colorée à l'image des murs de cette auberge sur lesquels était peint des instruments de musique, graffés ou signés d'une pensée sur le monde et la nature. « Para el que mira sin ver la Tierra, es tierra no mas. » (Pour celui qui regarde sans voir la Terre, c'est de la terre, pas plus.) « Desde los bosques nos levatamos como arboles somos rio, sol y viento... » (A partir des bois nous nous levons comme des arbres, nous sommes la rivière, le soleil et le vent...) 

Tous les murs de l'auberge étaient recouverts de dessins et de message s sur la Pacha Mama
 Après avoir posé nos sacs dans notre chambre, nous retournons vers la ville ou plutôt vers la plage donnant sur le lac. Nous rencontrons beaucoup d'étudiants Argentins voyageant en cette période de janvier qui correspond à leurs grandes vacances. On partage mate, musique et Fernet-coca sans trop s'accrocher à cette compagnie, ayant déjà en tête l'idée de quitter Copacabana pour regagner la Isla del Sol, une grande île flanquée en plein milieu du lac.

Déjà le soleil commence à décliner pour nous offrir un magnifique couché de soleil. Les nuages forment au-dessus du lac plusieurs couches faisant du ciel une peinture abstraite voire surréaliste. Nous avons face à nous autant le soleil que la pluie, la nuit et le jour, comme dans un tableau de Magritte. Des petits bateaux de pêche ou de transport de touristes semblent déjà endormis sur le lac. 

Un paysage comme une peinture de Magritte.
 Nous faisons un petit tour des bars de la ville avant de rejoindre l'hôtel pour préparer notre sac pour l'expédition du lendemain sur la Isla del Sol. On prévoit d'arriver dans la partie sude de l'île et de marcher jusqu'à la partie nord où on a appris qu'on pouvait camper.

On embarque alors le jour suivant sur un bateau où s'entasse une centaine de touristes. 

De nombreux bateaux baladent les touristes sur le lac.
Une mamita avec son enfant profite du voyage. Je rêvasse, tantôt le regard posé sur l'horizon du loin où se dessine des côtes sauvages, tantôt sur la mamita et son gosse. Ils doivent avoir une vie tellement différente de celle des Américains, Européens, Argentins aux lunettes de soleil antireflet, le doigt posé sur le déclencheur de leur appareil photos comme sur une gâchette. 

Je m'interroge sur l'impact du tourisme sur ces communautés qui, il y a quelques années, devaient encore vivre en dehors de la civilisation occidentale.
Une mamita et un petit bout.
Avec le tourisme, de nouvelles activités remplacent la pêche ou le travail des champs : restaurants, petits magasins, centres de télécommunication, transports, agences de voyage, hôtels, auberges backpackers, ... C'est comme si deux mondes se côtoyaient sans s'interpénétrer. Je râle quand une mamita préfère me voir partir de son magasin plutôt que de me faire le prix local que je connais. Cette pratique raciste renforce encore plus le fossé entre nos deux cultures. 

La Bolivie reste un pays où l’agriculture fait vivre
Après deux petites heures de voyage en bateau, nous posons pied sur l'Ile du Soleil. Nous attendons quelques minutes que la cohorte de touristes se disperse avant de prendre le chemin pour une journée de randonnée avec comme objectif de planter la tente du côté nord de l'île. 

La magnifique île du Soleil
Nous traversons des villages ruraux indifférents à notre passage, sauf pour nous proposer une chambre d'hôtel. Nous quittons sans le vouloir le chemin et nous nous retrouvons seuls, traversant les champs; 

Tu trouveras le chemin ?
rencontrant ça et là des enfants à demi curieux et à demi impressionnés à qui nous demandons notre chemin. 

Ça monte bien ici.
Je suis impressionné par les couleurs de la roche et de ce ciel si bleu, espérant que ça dure jusqu'à la nuit pour profiter des étoiles, loin de la pollution lumineuse de la ville. 

L'air est frais et une douce odeur d'eucalyptus déborde mes narines quand nous passons à côté des forêts. 

Marie devant une foret d’eucalyptus.
 En fin de journée, on arrive aux ruines d'un temple du Soleil, d'où l'île tire son nom depuis la période des Incas. Des enfants, s'improvisant guides touristiques pour quelques bolivianos, nous expliquent, à côté d'informations un peu douteuses (« Ici les c'est l'armoire où les Incas mettaient leurs vêtements. » « Ici c'était pour leurs bijoux. »), qu'en ce lieu était pratiqué des sacrifices de jeunes vierges pour le dieu Soleil. Dans un gros rocher à proximité de la table de sacrifices, on pouvait distinguer avec un peu d'imagination la forme d'un puma et la tête d'un dieu inca. 

On plante la tente sur la plage pour apprécier le coucher du soleil sur le lac. On fait la connaissance de trois étudiants argentins avec qui on parle beaucoup du système d'éducation en Argentine.

On installe le tente sur la plage.
Quelques minutes plus tard.
 Ce lieu est devenu magique quand, après un superbe coucher de soleil, la lune quasi pleine s'est levée au-dessus de la porte du temple, illuminant le paysage d'une lumière bleutée. 

La lune se lève sur le temple du Soleil au dessus de notre campement.
Malgré le vent et le froid on parvient à allumer un feu de brindilles et de crottes de cheval séchées pour se réchauffer un peu avant d'aller s'endormir paisiblement dans notre tente. Le vent et même la grêle n'auront pas raison de mon sommeil de plomb.

On fait un petit feu pour se réchauffé la nuit. 
 Le lendemain, on sèche la tente trempée de la nuit dans le vent et dans un petit soleil de matin, avant de regagner Copacabana.

Alors qu'on venait de prendre nos tickets de bus pour La Paz, on retrouve nos amis colombiens qui avaient campé sur la place principale de la ville. Ils ont le même projet que nous de regagner la capitale de la Bolivie le lendemain.

On passe une soirée à boire de la bière légère sur la place, alors même que de nombreuses mamitas font de même en cette fin de semaine, assises chacune sur leur casier, picolant et papotant jusque tard dans la nuit. Je les imagine parler des derniers potins du quartier, de la mort d'un doyen du village, des touristes maladroits, ou plaisanter tout simplement comme on le fesait nous-mêmes.

Les mamitas n'ont pas fini de nous surprendre.

Carnet de bord de Fabian – Arequipa (30/12/11 – 05/01/12)

Après quelques jours dans ce décor fabuleux, nous retournons à Arequipa. Il pleut des cordes, nous nous retrouvons sur sa majestueuse Plaza de Armas détrempés. Le Père Noël noir est toujours sous son sapin synthétique. Comme je ne veux pas retourner dans l'hôtel backpackers, je me tourne vers un gars que j'avais vu il y a quelques jours faire de la trompette dans la rue. Les musicos et les artisans sont en général de bons conseils pour des auberges bon marché et sympathiques. Il s'appelle Ezequiel et il est Argentin. Il voyage avec sa musique. Ni une ni deux, le voilà qui nous guide vers l'auberge où il vit avec un Allemand trader qui passe son temps dans sa chambre et Juan, un autre Argentin du même âge que lui qui joue de la guitare. On se pose un peu, on joue de la musique, on fait connaissance.

Un beau dessin d' Ezequiel .
Un peu fatigués de la pluie, et n'ayant jamais vécu de nouvelle année sous le soleil, on passe acheter un billet pour Camana, LA ville où beaucoup de jeunes se rendent pour fêter la nouvelle année. Ici, pour beaucoup, fêtes de fin d'années riment avec fiestas à la plage. Se disant que ça valait sûrement le détour, nous voilà embarqués dans un bus qui traverse pendant plusieurs heures des déserts de pierres et de sable, avant qu'on puisse apercevoir la côte. Si je peux être très critique vis-à-vis des lieux touristiques, pour leur manque d'authenticité et leur côté Disney Land, Camana m'a semblé extrêmement hostile. « Mala onda » comme on dit ici : tous les hôtels avaient quadruplé le prix de leurs chambres pour l'occasion, et les trois seuls artisans sur la place principale n'ont pas plus d'idées que nous d'où dormir. On loue finalement une chambre de bonne dont les murs étaient une simple planche de bois.

La majorité des gens venaient d'Arequipa ou des environs. Il y avait beaucoup de groupes de jeunes étudiants, picolant déjà bien pour une veille de nouvel an. Ayant envie de quitter ce qui ressemblait étrangement au Carré de Liège, on veut se rendre à la plage. Cependant, la mer n'était même pas à proximité immédiate, mais se trouvait à une demie heure de collectivo de là. On mange tristement un « arroz con pollo » en partageant ce sentiment de ville qui nous tourne le dos. On décide d'en faire de même et de retourner dès le lendemain à Arequipa, histoire de profiter du nouvel an avec les musicos rencontrés deux jours avant.

On fait de la musique, on parle et surtout... on boit des litres de maté argentin.
On les retrouve sourire aux lèvres le soir suivant, et on passe une bonne soirée bien alcoolisée sur la place où se trouve ceux qui n'ont pas été jusqu'à Camana pour fêter la fin de l'année. Les feux d'artifices sauvages étaient de la partie, de même que de nombreuses guirlandes, cotillons, et habits de couleur jaune sensés apporté du bonheur pour l'année qui vient.

On reste quelques jours à Arequipa, avec Ezequiel et Juan, je découvre la musique de Calle 13, Morodo, Resistencia Suburbana, et de beaucoup de groupes de musique qui dénoncent l'exploitation de la planète, la corruption des gouvernements, l'oppression des indigènes, et la pauvreté. On passe des heures avec Ezequiel à parler de l'exploitation minière ou des systèmes dictatoriaux qui gouvernaient les pays d'Amérique Latine il y a encore quelques années. Ensuite, pour beaucoup de ces pays, « démocracie » a rimé avec ultra-libéralisme. Après la dictature militaire, l'Argentine a dû subir la dictature de marché, à qui le gouvernement de Menen revend la plupart des entreprises de l'Etat : gaz, pétrole, train, télévision, à prix bradés, recevant les félicitations du FMI et de la banque mondiale. A la création de l'Argentine, toutes les richesses du sol appartenaient à l'Etat. Dans les années 1990, Menen revend toutes les richesses à l'étranger et fait promulguer une loi disant que toute la richesse du sol ne peut pas servir à l'exploitation par l'Etat. La trahison est immense, Menen fait passer plus de 300 « decreto ley », des lois qui ne demandent même pas de vote du parlement pour être mises en application... pour forcer des réformes antisociales.

L'homme gère la politique spectacle, parade avec les Rolling Stones pour cacher cette « mafiocratie », pour cacher la vente illégale d'armes à l'Equateur ou le génocide social au nord de l'Argentine où meurt 35 000 personnes à cause de la malnutrition.

Un pays si riche, des gens si pauvres. La démocratie a été accompagnée d'une tempête libérale. Cependant le peuple argentin n'est pas resté résigné devant cette prédation capitaliste. L'histoire de l'Argentine est également faite de soulèvements, dont celui de 2001, alors que les banques font faillite. Contrairement à l'Europe, l'Etat n'a pas les moyens de sauver le système et les petits épargnants sont également touchés. Malgré la répression sanglante, le peuple descend dans la rue, bloque les routes. Chômeurs, travailleurs précaires, artistes, paysans, étudiants, retraités, tout le monde est dans la rue. La pression est si forte que le 20 décembre 2001, le président s'échappe du palais présidentiel assiégé, en hélicoptère, sous les yeux des manifestants victorieux.

C'est la première victoire de l'Argentine contre la globalisation, s'en suit la politique del’ancien ministre de l’Economie argentin, Roberto Lavagna, qui a sorti son pays de la crise en 2002, en se passant des services du FMI. Il explique dans un entretien : « Dès mon entrée en fonction, en avril 2002, j’ai décidé de changer radicalement notre manière de penser la sortie de crise.. Le mois suivant, j’étais à Washington pour rencontrer les dirigeants du Fonds monétaire international et leur expliquer que nos rapports allaient s’en ressentir. Depuis le début du marasme économique, en 1998, nous avions déjà eu deux programmes du Fonds pour un total de 51 milliards d’euros. Les deux ont été des échecs retentissants et certaines voix s’élevaient pour demander une troisième tournée de quelque 17 milliards supplémentaires. Je n’ai pas voulu suivre cette voie et j’ai expliqué au Fonds que nous ne voulions plus de prêt et que nous sortirions seuls de la crise. La seule chose que j’ai demandé était un roll over partiel de toutes les échéances. Je me suis également engagé à payer les intérêts de la dette et une partie du capital. Mais pas tout et pas tout de suite. Cette position était tout simplement impensable pour le FMI car nous affichions notre volonté de fixer nous même notre propre politique économique. J’ai du leur expliquer trois fois de suite ma position avant qu’ils finissent par comprendre. A partir de là nous avons arrêté de soutenir financièrement les banques alors que le FMI nous l’imposait, exigeant même que nous privatisions la Banque de la Nation. » (Source : http://gauche2012.wordpress.com/2012/02/26/crise-grecque-lexemple-argentin/)

Même, si les inégalités sociales sont toujours très importantes en Argentine, le pays est devenu un exemple pour beaucoup d'économistes de gauche, surtout quand une crise économique du même type s'abat sur l'Europe.

Fab s'intéresse à la politique, dur, dur les journaux en espagnol !
Christina Krichner, l'actuelle présidente d'Argentine, du parti peroniste (une politique particulière à l'Argentine), « n'est pas mal » selon mon ami Ezequiel. Elle a par exemple instauré « l'asignacion universal para hijos », une aide gouvernementale de 300 pesos par enfant pour les familles dans le besoin.

Si les effets néfastes de la globalisation sont particulièrement criants en termes d'inégalité sociale et de destruction de l'environnement, il y a aussi, sous la pression populaire, des gouvernements qui osent défier le grand Capital. Beaucoup de pays d'Amérique Latine résistent de la même manière à l'instar d'Evo Morales, le président de Bolivie, qui reprend au nom du gouvernement, le premier mai 2006, tous les champs pétrolifères aux entreprises étrangères, et utilise la rente pétrolière pour des plans sociaux. Il a également passé cette année une loi qui accorde des droits à la nature.

Si l'homme ne peut que fuir devant un volcan en éruption, il n'est pas aussi démuni face à la mondialisation. Il peut devenir la lave en fusion, capable de venir à bout des dictatures les plus cruelles et des systèmes les plus installés. La politique économique est une construction humaine éphémère, et il suffit parfois d'un vent de révolte pour qu'il perde sa fierté et son apparence infaillible.

Nous quittons Arequipa quelques jours plus tard, pour prendre un bus qui nous amènera en Bolivie.

Malgré certaines évolutions, la fracture sociale reste très importante.

Carnet de bord de Fabian – Canyon de Colca (28/12/11 – 29/12/11)

Nous quittons le décor urbain pour aller à Cabanaconde, un petit hameau rural situé dans le fabuleux site du canyon de Colca. Sur le chemin, des panneaux mettent en garde : propriétés privées, exploitations minières. A proximité de celles-ci, de très petites maisons doivent être celles des travailleurs.

Un quartier de travailleurs des mines en périphérie d'Arequipa.
On passe par une étendue enneigée avant d'arriver dans le canyon.

Il gelait dans le bus !
Entre les deux immenses barrières de montagnes qui le forment, une partie des terres est cultivée. Des familles de paysans déplacent des bêtes ou travaillent dans les champs. Certains appellent cet endroit « la réserve des Incas », sans doute parce que ceux-ci devaient aussi profiter de la fertilité de ces terres.

La réserve des Incas
Nous ne nous attardons pas très longtemps à l'hôtel Pacha Mama, un hôtel touristique où on a même pu goûter à des frites belges, selon le patron qui a une amie en Belgique, nous voulons visiter cet endroit si beau malgré la fine pluie qui tombe tous les jours à partir de 16h. Le spot est connu pour ses superbes randonnées. Étrangement, malgré l'afflux de touristes avec leurs chaussures en Vibram et en GoreTex, l'endroit est resté assez rural.

Les Mamitas remontant le canyon de Colca sur le dos des mules
Les femmes, même les plus jeunes, sont vêtues de larges jupes faites de plusieurs couches de tissus bariolés, et portent également un chapeau style haut-de-forme à peine posé sur leur tête, laissant dépasser deux nattes noires tressées. Dans leur dos, un large drap de couleurs vives porte un enfant ou qui leur sert de sas à dos. Chaque région semble avoir son type de chapeau, et ici, beige pâle avec des broderies colorées, il ressemble un peu à un gâteau à la crème.

Les Mamitas dans leurs habits traditionnels
Comme la majorité des touristes, nous sommes là pour randonner dans le canyon, profiter de la vue magnifique, de cette nature encore relativement intacte, espérant voir, planant entre les montagnes, un condor.

Fabian qui voulait absolument escalader jusqu'au drapeau !


Nous nous aventurons dans un petit sentier qui semble mener au bas de la montagne, quand un homme d'une cinquantaine d'année nous demande si nous avons notre « bolleto touristico », visiblement obligatoire pour tous ceux qui n'ont pas le profil des gens du coin. Nous payons à contre coeur cette taxe sur la nature, je me sens comme racketté par ce gouvernement qui n'a pourtant pas l'air d'investir beaucoup dans la région.

Waouw !
Ma mauvaise humeur ne dure longtemps, et elle est remplacée par une fascination pour ce paysage grandiose.

Re-waouw !
Les rochers ont mille couleurs, et au travers de ceux-ci poussent des cactus parfois aussi grands que la taille d'un homme.

Le contraste entre le canyon désertique et l'oasis verdoyante
On sent la descente de 1200 mètres d'altitude dans nos jambes et dans nos dos. On fait quelques pauses avant d'arriver à l'oasis, une sorte de petit paradis de carte postale, avec ses palmiers, ses piscines, et quelques restaurants hors de prix.

L'oasis dans le bas du canyon de Colca
On se repose une petite heure, avant d'entamer la longue montée escarpée sous une petite pluie plutôt salutaire.

Et toujours des infrastructures "à touristes" partout, même dans les coins les plus reculés !

Carnet de bord de Fabian - Arequipa  (22/12/11 - 27/12/11)

On se remet de nos émotions dans un hôtel pour "backpackers", des gens qui comme nous se trimballent avec un gros sac à dos. Des endroits sont mis à leur disposition pour une modique somme afin qu'ils se rencontrent dans un cadre confortable : eau chaude, internet, télévision. Je remarque que certains voyageurs ne connaissent que ce genre de lieux et n'ont dès lors pas tellement besoin de parler espagnol, l'anglais leur suffit amplement.

Noël approche, et nous envisageons d'essayer de trouver un plan à l'arrache pour un peu rendre à la société péruvienne de sa générosité. Sur un plan de la ville d'Arequipa spécial backpackers, la présentation de deux organisations de bénévolat attire notre attention. L'une d'elle, "Traveller not tourist", se trouve à quelques pâtés de maison de notre auberge. Nous passons la porte de l'agence où on nous adresse directement la parole en anglais. Sur le prospectus en papier glacé de l'agence, le "voyageur" est défini comme une personne responsable par rapport à son impact économique, social et écologique. "L'agence de bénévolat" propose soit des cours d'anglais pour des enfants dans la périphérie d'Arequipa, soit de l'aide dans des orphelinats, à côté de services touristiques classiques. Le droit d'inscription, en dollars, me noue la gorge, et me fait perdre tout mon anglais : 100 dollars... plus des frais de logement éventuels... Ainsi, des gens parviennent à se faire de l'argent sur le désir d'aider son prochain. J'en ai la nausée.


Coïncidence heureuse, Anne, une Hollandaise habitant depuis deux mois dans l'auberge où nous louons une chambre, travaille dans un orphelinat et est enchantée à l'idée qu'on vienne jouer de la musique pour les enfants pour Noël. Elle nous propose d'en parler à la doyenne de l'orphelinat.

Ici, la période de Noël rime avec panetone. Je pense que le Pérou doit en consommer plus que l'Italie, mais ici on en mange avec un chocolat chaud goûtant bien plus la cannelle que le cacao (dont le pays est pourtant producteur). Des assemblages de plastique ou de bouteilles vertes sont empilées pour faire ce qui ressemble à un sapin de Noël. Parce qu'à Arequipa, les cactus poussent bien mieux que les sapins ! Tout ça a un côté décalé, à l'image du Père Noël qui passe des heures sur la place principale de Arequipa, gagnant quelques soles par photo. Le pauvre est soit sous un soleil de plomb, soit sous une pluie torrentielle. Je pense que si le Père noël avait vécu au Pérou, il aurait plutôt investi dans un poncho pour la pluie ou dans une casquette pour le soleil. Si la fête de Noël semble complètement importée, elle a tout de même été appropriée par la population pour en faire quelque chose d'original. Elle est un moment pour se retrouver en famille et boire un bon coup. Beaucoup sont dans les rues. Le soir du 24 décembre, des milliers de feux d'artifice sauvages éclatent de partout, le spectacle est sublime, tout le ciel de la ville est illuminé de mille feux de toutes les couleurs.

Bon, il fallait que Fab participe !
Les gens doivent dépenser des fortunes pour ces feux. Le spectacle d'explosions de lumières à l'horizon dessine dans le ciel comme une oeuvre d'art spontanée, sauvage, anarchique, mais est également une sorte d'oeuvre collective faite de milliers d'entités individuelles s'exprimant au même moment, pour former ce que je crois avoir été le plus beau feu d'artifice que je n'ai jamais eu l'occasion de voir jusqu'à présent.
Le lendemain, on prend un taxi pour se rendre à l'orphelinat où Anne est bénévole, après s'être mis d'accord sur ce qu'on pouvait jouer aux enfants. Nous arrivons un peu timides dans l'orphelinat, où nos housses d'instruments intriguent les enfants. Le lieu est bien entretenu, rempli de couleurs et une chaude atmosphère y règne. Quelques minutes plus tard, on dispose de petites chaises en arc de cercle autour du sapin de Noël, et toute la petite troupe nous regarde attentivement sans bruit.


Feliz Navidad !

Il y a des enfants de tout âge, de quelques mois à une dizaine d'années. Ils sont soit orphelins abandonnés à la naissance, soit écartés de leurs parents qui ne savent pas s'en occuper. Ils chantent avec nous de bon coeur "feliz navidad" qu'on avait pris la peine d'apprendre en espagnol, "conejito blanco" qu'une amie de Belgique avait appris dans un orphelinat chilien, et même des refrains des Humbles Tartines !

Une occasion pour Fab de faire le clown !
On quitte tout ces petits yeux brillants avec non pas un sentiment de bonne action accomplie mais avec l'impression de s'être fait tout d'abord plaisir à nous-mêmes.

Violoniste en herbe ?
Le lendemain matin, je décide d'aller voir la CGTP, un syndicat péruvien, pour avoir une idée des pratiques syndicales, du poids politique de celui-ci, des relations qu'il a avec des organisations d'autres pays, ainsi que des combats menés actuellement par les travailleurs.

Je suis emmené par un gars aux habits des couleurs de son syndicats dans un petit bureau où un homme était en train d'écrire un texte sur un vieil ordinateur.

Mon interlocuteur aborde immédiatement la question de l'ancien gouvernement, le gouvernement ultra libéral de Fujimori qui a étouffé toutes les initiatives de la société civile sous le couvert de la lutte contre le terrorisme des guérillas des "sentiers lumineux" et du "groupe révolutionnaire armé de Tupac". Au grand bonheur des organisations monétaires internationales, il privatise une grande partie des services publics, ce qui a mis beaucoup de travailleurs au chômage. Il a également complètement déstructuré le syndicat et réduit à néant beaucoup de protections sociales des travailleurs. La répression vis-à-vis des syndicats était très importante, selon mon interlocuteur des gens seraient même morts lors de manifestations. En gros, Fujimori a profité de la peur de la population vis-à-vis des groupes armés révolutionnaires pour mater toute initiative progressive dans le pays.

Aujourd'hui, si le syndicat est écouté par le président Ollanta Humala (nationaliste plutôt vu comme quelqu'un de gauche socio-démocrate), tout semble à reconstruire et à reconquérir. En premier lieu, faire comprendre l'importance de la cotisation syndicale afin d'amener l'autonomie financière du syndicat.

La façade de la FGTB made in Pérou
La ligne politique du syndicat est clairement celle « de la lutte des classes contre le capitalisme ». Quand je demande de la documentation sur le syndicat, on me donne un résumé de leur dernier congrès ainsi que « Unitad », le journal de liaison du parti communiste. Le syndicaliste m'explique qu'il y a quatre autres centrales syndicales, mais avec lesquelles les relations sont « assez compliquées » à cause des différences idéologiques qui les séparent. Les autres syndicats, en effet, s'affichent plutôt comme « socio-démocrates », ces derniers recevraient plus d'aide internationale et seraient beaucoup plus « conciliants avec le capital ». Le nouveau gouvernement est source de beaucoup d'espoir pour le syndicat dans sa mission de défendre les travailleurs mais il y a encore beaucoup à faire pour panser les plaies des blessures que le gouvernement de Fujimori, encadré par les organisations internationales, a faites au pays et à ses citoyens au profit des entreprises étrangères.