lundi 26 décembre 2011

Carnet de bord de Fabian - Cusco (08/12/11 - 14/12/11)

Nous arrivons à Cusco par le haut de la ville. Je suis étonné de voir que la ville semble assez pauvre, avec son bitume défoncé, ses "mamitas" qui vendent des fruits et des légumes à même le sol, ses modestes maisons. Sa renommée touristique m'avait laissé penser à autre chose.

 Cusco
Le bus nous dépose au terminal, et nous voilà partis avec nos gros sacs en quête d'un café pour nous ouvrir les yeux. On prend ensuite un taxi pour se rendre dans une auberge renseignée par une amie passée par là quelques temps auparavant. Un rayon de soleil rend la grande cour de l'auberge très accueillante. Elle était habitée par de nombreux Français et Argentins, réputés pour être des types de voyageurs cherchant les bons plans conviviaux et pas chers. Beaucoup gratouillent sur des guitares bon marché achetées en Bolivie, qui sonnent horriblement faux. D'autres font de l'artisanat, d'autres partent vendre des truffes à la banane et à la noix de coco. On ne met pas longtemps avant de sortir nos instruments, et deux ou trois chansons, pour une fois qu'il y a une partie du public qui comprend les paroles !

Notre auberge à Cusco

On passe quelques heures à siroter du maté, en parlant de nos aventures respectives, en s'échangeant des bons plans dans d'autres pays, et en se conseillant des plans débrouille pour aller voir le Machu Picchu pour pas cher. C'est un liquide froid et mouillé, qu'on avait presque oublié dans notre désert, qui nous déloge. Un petit groupe se forme pour aller voir une ruine Inca dans les hauteurs de Cusco. Après avoir grimpé quelques marches, une dissidence non motivée à marcher autant propose une "chicha" dans une "chicheria". La chicha est une boisson traditionnelle (même les Incas en buvaient) élaborée à base de maïs bouilli dans de l'eau, à laquelle sont rajoutées des épices. Dans les chicherias, petits bars à moitié clandestins, indiqués par un fanion ou un sac plastique rouge sur la façade, on peut boire la boisson sacrée ayant un peu fermenté.

La proposition alcoolisée obtient rapidement un consensus favorable. Le goût un peu acide de la chicha devient agréable au troisième verre, et c'est plusieurs cruches de 5 litres qui sont parties dans l'après-midi. "Il faut aller faire de la musique dans les restaurants avec ce que vous faites!" nous dit un des gars en finissant son verre de liquide jaunâtre.

Buff improvisé avec tous les voyageurs de passage à l'auberge Delcy, Cusco

Jusqu'à présent, on a toujours été un peu hésitant à faire de la musique dans des restaurants, ne sachant pas si en tant que Gringos ça marcherait. Après une discussion et une mini répétition avec Henry, un jeune Péruvien de Lima, on changea de point de vue sur la question. Henry a mis ses études et un petit travail à la capitale entre parenthèses après avoir suivi, un peu sur un coup de tête, une touriste qui partait à Cusco. Il y vit maintenant depuis 4 mois, découvrant un peu la vie en dehors de son cocon familial. N'étant pas parti avec beaucoup d'argent, il a suivi les conseils d'un ami musicien et a lâché les dernières soles qui lui restait pour acheter un "bombo", un tambour traditionnel du Pérou qui résonne un peu comme une grosse caisse. Il a rapidement récupéré son investissement et est parvenu à vivre de ses roulements de tambour. On travaille ensemble "El condor passa", un air traditionnel andin auquel on rajoute une petite touche de ska... On bricole également une petite chanson des Humbles Tartines. Le résultat donne un peu un mixe de culture qui se mélange assez harmonieusement.

On finit la soirée bien tard, avec tous les compagnons de l'auberge, sur des airs de reggae town.

Le lendemain, on se lance à l'assaut des restaurants et du Mercado de la ville.


El Condor Paska from Les Humbles Tartines on Vimeo.

Étrangement, ce ne sont pas les touristes les plus grands mécènes, mais bien les locaux qui sont plus généreux. Certains fixent le violon de Marie comme si c'était la première fois qu'ils en voyaient un. Je pense qu'ils appréciaient vraiment notre musique métissée, et qu'ils reconnaissaient le travail effectué. Cependant, je m'en veux un peu, en voyant des familles, a priori assez pauvres, tendre généreusement quelques soles à Henry qui passe le chapeau entre les tables. D'un autre côté, ça nous permet enfin de quitter le rôle consommateur qui nous est assigné en Amérique du Sud, pour produire quelque chose, offrir quelque chose de nous, au pays, à sa population. Ça nous rapporte, les jours où on joue le midi et le soir, de quoi payer une bouffe et l'hôtel.

"Las trenzas" à Calca

A l'auberge, beaucoup d'Argentins et de Colombiens voyagent de cette manière. Ils passent de bar en bar, de resto en resto, avec deux chansons qu'ils répètent partout. Certains sont des prodiges, d'autres viennent tout juste de se mettre à la musique. Il y a aussi ceux qui vendent discretos, la police de l'immigration veille, de l'artisanat. D'autres se débrouillent pour payer leur habitacion et leur comida en jonglant aux feux rouges.

On va jusqu'à Calca avec Henry, une petite ville à plusieurs kilomètres de Cusco. On y joue toute la journée devant les habitants qui n'avaient pas l'air de voir beaucoup d'étrangers dans leur petite localité entourée de montagnes. Nous sommes contents de pouvoir voyager d'une autre manière.

Calca

Une discussion avec un voyageur me revient en mémoire. Après avoir passé deux ans à voyager en Amérique Latine, il passait ses dernières nuits à Cusco avant de repartir en France. On parle ensemble de nos rencontres, des coutumes locales, de toutes ces aventures et lieux étranges que l'on peut voir et vivre en Amérique Latine. Les lignes de Nazca, les constructions Incas faites d'énormes pierres pesant plusieurs tonnes, les savoirs ancestraux des chamans, les révélations étranges de l'ayahuasca, ces étranges bulles que l'ont peut voir sur des photos prises dans des endroits réputés pour être "plein d'énergies", etc. Il y a aussi tous ces coups de chance, ces coïncidences étranges, ces bonnes et mauvaises ondes, donnant le sentiment que nous avons tous un destin lié à l'ensemble du monde et des êtres, et que ce destin nous guide dans nos choix.

Les pierres impressionnantes taillées par les Incas, et assemblées sans ciment

Nous expliquons le monde qui nous entoure, les traces que laisse l'histoire, par un ensemble de croyances et de théories que nous avons prises avec nous. Il y a des explications scientifiques rationnelles, des expériences empiriques qui existent et coexistent avec des croyances symboliques plus spirituelles. Si nous expliquons l'histoire, la magie de la nature, les relations entre les êtres, les relations entre les choses, par les croyances que nous considérons comme les plus crédibles et effectives à nos yeux, l'inverse me paraît vrai aussi : nos incroyances influencent ce que nous voyons, ce que nous retenons de l'histoire, et ce que nous vivons. "Il faut avoir l'esprit ouvert pour appréhender toutes ces richesses et ces cultures qui nous sont a priori étrangères."

Les plaines aux alentours de Cusco

Il est vrai qu'en voyage, n'ayant plus nos repères habituels, on se fie beaucoup plus à son instinct, un feu que la routine éteint souvent, et qui allumé nous guide en illuminant un sentier parmi tant d'autres. C'est lui le moteur de la route. Il trace les balises du chemin, il permet d'être attentif à des détails qui ne trompent pas. Il n'est pas rationnel, il répond plutôt à une alchimie particulière. Il se nourri des signaux des cinq sens, mais également d'énergies plus mystérieuses. Cette recherche d'énergie à tâtons rend notre vision du monde plus ouverte à d'autres énergies, à d'autres croyances, qui me font penser que notre aventure du Machu Picchu avait quelque chose d'initiatique, comme si les éléments croisés en chemin avaient quelque chose à nous apprendre. Ce n'était en tout cas pas une aventure de tout repos qui nous attendait...

Un Inca...

Carnet de bord de Fabian - La route de Nazca à Cusco (07 et 08/12/11)

Nous traversons un énorme désert de pierres dont les montagnes sont riches de minerais, une des sources de richesse du Pérou. Le paysage est comme irréel, invivable, et pourtant si beau.

Le désert aride aux alentours de Nazca
Au fur et à mesure qu'on avance, un peu de végétation ose affronter le soleil. Au départ, il n'y a que quelques cactus, jusqu'à ce qu'une fine couche verdâtre de mousse sèche vienne prendre le dessus sur les couleurs de la roche. 
Cactus perdus dans le désert


La verdure fait tout doucement son apparition

Nous croisons alors quelques animaux sauvages, de petits lamas assez peu farouches.

Premiers lamas sauvages rencontrés

Un alpaga, comme nous perdu dans le paysage

Notre premier arrêt, qui s'avèrera plus long que prévu, est à Puquio, une petite ville de basse montagne.Le temps d'un petit "arroz con pollo" et nous décidons de faire un tronçon de la route en stop, étant donné que les habitants nous indiquaient qu'il n'y avait pas de transport en commun pour Cusco avant le soir. Notre pouce n'eut que peu de succès... Après deux heures infructueuses, on se résigne à prendre un billet de bus pour Cusco.

On flâne dans la petite ville. Le soir tombant, on sent à la fraîcheur de la bise que nous sommes maintenant bien loin du désert de Nazca et de sa chaleur aride. On décide d'investir dans une couverture polar, qui nous sera bien utile la nuit venue, le car arrivant avec deux heures de retard.

Malgré le confort assez relatif du bus, je parviens à m'endormir, pour ouvrir les yeux seulement à l'aube. Nous sommes dans des montagnes verdoyantes aux formes toutes plus découpées les unes que les autres. Virage à gauche, virage à droite, de part et d'autre le paysage me coupe le souffle. Plus moyen de m'endormir !


Les montagnes se dessinant dans le matin

Avant d'arriver à Cusco, nous traversons de vastes terres cultivées. Il est tôt, et pourtant des paysans s'affèrent déjà à charger des légumes ou à déplacer des troupeaux de vaches. Des cochons noirs et des volailles en liberté errent ça et là. Nous passons au moins devant 1000 petites fermes, encerclées de quelques ares de terre.

Paysans déjà au travail

vendredi 23 décembre 2011

Mauvaises mines...

Le Pérou a une croissance annuelle de 7%, et un faible endettement extérieur. C'est une puissance minière de premier ordre au niveau international.

Historiquement marqué par le système des enclaves minières, le secteur minier a subi deux vagues de privatisation, de 1990 à 2000. Une politique bien sûr encouragée par les USA et la Chine. Des "partenariats stratégiques" et des accords de libres échanges sont conclus entre ces pays. Le Pérou posséderait 8% des réserves mondiales d'or, ce qui en fait le sixième producteur au niveau mondial. Il est également le deuxième pays producteur d'argent et de cuivre au monde. Il va sans dire que, comme dans beaucoup de pays possédant des matières premières prëcieuses, cette richesse crée plus de tensions sociales que de prospérité pour les populations.

Tout d'abord, la majorité des actionnaires et des béneficiaires de ce marché juteux sont étrangers. Il y a bien une ou deux familles péruviennes, mais ce sont surtout 7 entreprises américaines et canadiennes qui possèdent près de 63% du marché, sachant que ce sont notamment leurs fonds de pension qui financent ces investissements... Les Chinois s'intéressent également à ce marché. Ils sont des partenaires privilégiés du Pérou, assurant ainsi leurs arrières au cas où, pour gérer la crise, on reviendrait à l'étalon or. Le destin des Péruviens est donc intimement lié à la crise occidentale actuelle.

"Attention, machines en mouvement" !
Ensuite, il faut insister sur le fait que l'exploitation minière a des conséquences environnementales graves pour les populations andines. Les projets miniers affectent en effet les territoires où de nombreuses communautés paysannes sont privées d'eau, ou alimentées par de l'eau contaminée. Face à cette situation, la société civile s'active et un grand nombre d'ONG milite pour la défense des droits des indigènes. Les populations protestent de manière virulente, des emeutes éclatent dans différents endroits du pays. Défendant l'agriculture biologique et les écosystèmes parfois uniques contre les projets miniers, les populations ont dû faire face à des répressions sévères contre les personnes participant à la protestation sociale, des militants ont été tués. Des avancées en leur faveur leur ont été accordées à plusieurs endroits : des moratoires sur les concessions minières, des refus de permis d'exploitation à des entreprises canadiennes, etc. Mais le problème réside encore malgré les promesses du président entrant. Depuis le 28 juillet 2011, le nouveau président, d'origine Quechua (comme 80% de la population), est élu, notamment grâce à sa sensibilité à la question indienne. Il fait partie du parti nationaliste, dont le slogan est "Seguridad" ! Il a pourtant été vu comme un danger pour les investissements des capitalistes étrangers. Il privilégie une taxation du secteur minier, ce qui devrait rapporter un milliard de $, et il dit vouloir utiliser cette recette pour le éveloppement de projets sociaux et de réduction de la pauvreté.

Et la Pacha Mama dans tout ça... ?

Carnet de bord de Fabian - Nazca (23/11/11 - 07/12/11)

On quitte La Huacachina pour Nazca, où on essaye de vendre sur le trottoir mais sans succès. Wayki est de plus en plus tendu et nos relations un peu entachées par le fait qu'il nous doit de l'argent, et qu'on se rend bien compte qu'il ne peut sans doute pas nous le rendre.
La route pour aller à Nazca traverse durant de nombreux kilomètres un désert de cailloux
Un matin, nous le retrouvons à l'hôtel après avoir été déjeuner avec Marie. Il a une mine triste et sévère. Il nous dit qu'il s'est fait piquer ses derniers 100€ dont il avait pourtant bien besoin... Il nous laisse quelques-unes de ses productions artisanales en échange de l'argent qu'il nous doit. Il a en tête de retourner à La Huacachina, persuadé que c'est là-bas qu'il s'est fait voler et qu'on lui restituerait son argent. Il part ensuite quasiment sans nous dire aurevoir, et sans un sous en poche. Un peu dommage après tout ce temps passé ensemble... Ma boule au ventre se transforme en diarrhée chronique pour agrémenter le moment, et de très très tristes nouvelles nous parviennent de la famille de Marie...

La Plaza de Armas à Nazca
Alors qu'on venait juste de regarder les horaires de bus pour partir à Cusco le soir-même, Miguel, un artisan rasta, nous propose de venir dans l'auberge qu'il est en train de construire avec sa mère, un peu à la périphérie de Nazca. On va voir sur place, et on se laisse charmer par l'endroit. On pensait n'y rester qu'une nuit, mais nous y restons finalement beaucoup plus longtemps. La gentillesse de Miguel (qui nous apprend également à faire de l'artisanat) et de Nines sa maman, l'auberge en construction, la cuisine commune que nous pouvons utiliser, l'esprit familial qui règne, tout ça nous réconforte, on reprend un peu d'énergie. De plus, le soleil est également présent pour nous réchauffer le coeur. A Nazca il ne pleut presque jamais.

Coucher de soleil à Nazca
Il va sans dire que le rapport à l'eau est important au Pérou, et particulièrement à Nazca où il ne pleut que 2mm d'eau par an. Alors que le paysage est aride et sec, fait de montagnes et de déserts rocailleux et de sable, à 10 mètres sous le sol, règnent quantité de nappes phréatiques. Le Pérou fait partie des neuf pays se partageant 60% des réserves mondiales d'eau douce. Fait assez paradoxal, quand on sait que l'eau est distribuée, à Nazca, une seule fois par jour, durant deux heures, et que la deuxième source de richesse du pays, après le tourisme, est l'exploitation minière.
Fab pensif dans le désert...

Nous profitons de nos quelques jours supplémentaires à Nazca pour visiter un site où on peut apercevoir les fameuses "lignes de Nazca", des grandes lignes tracées dans le désert rocailleux avoisinant, formant des arbres et des animaux. Malgré une recherche très poussée sur ces lignes, on ne sait toujours pas, à l'heure actuelle, ce qu'elles représentaient pour les Incas à l'époque. 


L'hypothèse la plus acceptée, mais sans toutefois être confirmée, est que ces gigantesques tracés servaient aux Incas comme une sorte de calendrier des cultures. Les lignes de Nazca sont positionnées en lien direct avec les constellations. Plusieurs dates précises ont pu être calculées par les chercheurs scientifiques s'étant penchés sur le sujet.

"Le singe"
Même si une potentielle explication existe sur l'utilisation de ces lignes, il reste néanmoins un grand mystère sur la manière dont les Incas les auraient tracées, et sur leur conservation impressionnante.

Pour apercevoir les lignes, il est indispensable de prendre de la hauteur, soit en montant au-dessus d'un mirador de fortune (par exemple pour les touristes comme nous, n'ayant pas un budget de voyage extraordinaire), soit en se payant le luxe d'un vol en avion parcourant les 400 km carré des tracés. Les Incas avaient-ils des potes extraterrestres ? Personne ne peut expliquer comment ils faisaient pour observer leurs lignes en entier...


"Les mains" et le mirador


La résistance de ces lignes au temps s'explique principalement par des phénomènes climatiques naturels : l'absence totale de vent dans le désert et le faible taux de précipitation annuel (1/2h de pluie par an).

Pendant notre long séjour à Nazca, nous partons avec José, un ami de Miguel, voir de nuit un endroit avec "beaucoup d'énergies et de lumières". José avait pris soin de prendre avec lui trois grandes plumes de condor, et nous explique sur le trajet qu'il fait des cérémonies chamaniques. Sur le chemin, qui devait mettre 10 minutes et qui en a mis plus de 30 au final, on passe à côté du musée sur les Incas de Nazca. José nous explique, en fulminant, que le musée appartient à une famille italienne et que beaucoup des richesses des ruines de Nazca ont été ainsi pillées. Ce capital culturel fait aujourd'hui partie de collections privées en Europe.

Ruines Inca de Nazca 
Après avoir quitté la ville, nous nous engageons dans un chemin fait de grosses pierres crissant bruyamment sous les pneus de la voiture. Nous arrivons à destination à proximité d'une ruine Inca. Des petits cailloux peints en blanc tracent un chemin dans la nuit, et nous marchons jusqu'à ce que José nous invite à retirer nos chaussures. On le fait sans poser de questions. Ils nous "lave" en passant les plumes de condor sur notre corps. Après ce petit rituel, il nous invite à prendre place ans un grand cercle de sable entouré de grosses pierres. Le sable est doux et encore chaud de la journée. La lune, qui n'était qu'un petit croissant ce jour-là, éclairait particulièrement le lieu. La lumière argentée permettait de distinguer parfaitement les alentours et les personnes. Un silence prenant rendait l'ambiance feutrée. Au loin, les lumières de la ville déchiraient un peu le paysage, mais notre position surplombante donnait l'impression que nous étions en dehors du temps dans un espace détaché de la réalité. Tout autour de nous, les montagnes noires faisaient comme une arène, renforçant cette impression de sanctuaire. Je passe quelques temps à méditer en regardant les étoiles, ces soeurs du soleil qui dessinent des constellations que je n'avais jamais eu l'occasion de voir auparavant. 

Un coup de téléphone me sort de ma méditation...

Fab, Marie, Miguel, Nines et Lucho
Lucho, un ami de Nines et de Miguel habitant avec nous dans l'auberge en construction, vient de faire une chute à la maison et nous appelle à l'aide. Quelques secondes plus tard, on renfile nos chaussures, et on file dans la voiture, traçant à toute allure, malgré la route accidentée, vers la ville.

On retrouve Lucho, qui s'était hissé jusqu'à son lit. Il a fait une chute de plus de 3 mètres de haut. Heureusement, il n'est pas tombé la tête la première. Il a tout pris dans les chevilles, qui étaient très enflées quand on est arrivé.

Miguel et Nines l'ont accompagné à l'hôpital, où on l'a refoulé car il était 21h et qu'il n'y avait pas de médecin, et que le service de radiologie était fermé... Une petite piqûre d'antidouleur, et les revoilà à la maison, les chevilles de Lucho en bouillie. L'hôpital n'a sans doute pas assez d'argent pour payer du personnel de nuit, il vaut mieux dès lors ne pas avoir de pépin de santé pendant la nuit...

Dans la cour de l'auberge...
Deux jours plus tard, quand Lucho a enfin pu recevoir sa paye, nous retournons à l'hôpital. Nous y apprenons que chaque personne entrant doit payer 5 soles seulement pour pouvoir être reçu. Aucun soin, aucune attention n'est donnée au patient tant qu'il n'a pas régler le côté administratif... Ici, on paye les soins avant d'être soigné, autant dire que si vous n'avez pas les moyens de payer, peu importe votre état, vous pouvez crever devant l'hôpital... Au final, les chevilles de Lucho sont "justes foulées". Il doit rester immobile pendant 10 jours minimum. Comme il n'y a pas de mutuelle, je me demande comment il va faire pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Il faudra sans doute qu'il compte sur l'aide de ses amis. Je n'ose pas imaginer ce qui se serait passer si sa chute avait été plus grave et s'il n'avait pas d'amis généreux...

Lucho est ouvrier dans le bâtiment. C'est stupéfiant de voir qu'ici tout se fait à la main, tout est porté sur le dos, il n'y a quasiment pas de machine pour épargner le travail des hommes, et tout ça sous un soleil de plomb ! Ils sont souvent beaucoup d'ouvriers à travailler en même temps sur le même chantier, et le travail avance malgré tout assez vite. 

Un ouvrier comme Lucho gagne environ 50 soles par jour, c'est-à-dire un peu plus de 15 euros par jour, pour huit heures de travail. C'est assez pour vivre, mais pas pour payer des études supérieures aux enfants. Souvent les jeunes travaillent eux-mêmes à côté de leurs études pour pouvoir les financer. A titre indicatif, des études d'administration à Lima coûtent 800 soles par mois. D'autres études peuvent coûter jusqu'à 3000 soles mensuellement...

On passe plusieurs bonnes soirées en compagnie de Miguel, Nines et Lucho, à se faire des bonnes bouffes : barbecue, ceviche, arroz con pollo, pizzas, moussaka, frites belges, plats typiques péruviens, etc. On les aides à aménager un peu leur auberge, on apprend et on vend un peu d'artisanat, et on regarde une multitude de films en espagnol.
Notre petit stand d'artisanat...
On gagne une nuit gratis en faisant un flyer présentant leur auberge.

Miguel et Nines nous proposent de faire la route de jour jusqu'à Cusco avec un collectivo (petit combi ou voiture dans laquelle on s'entasse pour quelques heures), plutôt qu'avec un car de nuit, afin de pouvoir profiter du paysage.

Le désert aux alentours de Nazca

vendredi 2 décembre 2011

Carnet de bord de Fabian - El Chaco, Chincha, La Huacachina

On part de Lima avec David et Wayki, sans trop savoir où on va, pour finalement arriver à El Chaco, une petite ville à la plage dans la baie de Paracas. Un endroit idéal pour vendre un peu d'artisanat, si les touristes étaient au rendez-vous, ce qui n'était pas vraiment le cas...

El Chaco
On passe des heures et des heures à travailler le fil et l'argent, et le reste du temps à vendre (ou plutôt à essayer de vendre).

Nos petites productions artisanales, sur la gauche de la photo,  qu'on essaye de vendre 

Wayki est d'une humeur triste, on devait lui envoyer de l'argent de France qui tarde à arriver. Il est assez stressé. Il faut dire qu'il a acheté pour 3000$ de vêtements de bain à vendre à Montañita, il en parle comme étant tout son capital. Il doit passer la marchandise à la frontière. Alors, soit ça passera comme ça, incognito dans les cales du bus, soit la douane contrôle. Dans ce cas, officiellement il doit payer un dixième de la valeur de la marchandise, officieusement il y a sans doute moyen de "s'arranger" pour moins que ça...

Wayki est également fâché sur David à qui on doit payer la bouffe, et même l'hôtel. David, venant de Colombie, ne vit que de ses ventes journalières d'artisanat. Wayki en a marre de l'avoir à sa charge, il trouve qu'il devrait se prendre en mains, et nous voilà repartis avec Wayki, mais sans David. On prend le bus pour Chincha, une ville grisâtre où on vend à même le trottoir. Nous réalisons nos premières ventes.

La Huacachina vue du sommet d'une dune
La crête d'une dune
On repart ensuite direction La Huacachina, une oasis perdue dans un désert de sable. Nous trouvons une auberge très bon-marché avec uniquement des artisans. Partout, les murs gardent les souvenirs des voyageurs passés par là, de multiples peintures, sculptures et montages artistiques ornent l'auberge. Celle-ci n'était pas cher entre autre par le fait qu'il n'y avait pas de lits, chacun dormait sur un matelas gonflable ou sur une paillasse à même le sol. Les ouvertures des chambres communes étaient fermées par de simples rideaux faits de bâches ou de couvertures. Nous serions bien restés plus longtemps, mais Wayki a vraiment besoin de vendre pour avoir de l'argent, et il y a très peu de touristes pour beaucoup d'artisans dans la petite oasis.
La fenêtre de notre chambre dans l'auberge d'artisans
La cour intérieure de l'auberge d'artisans

Carnet de bord de Fabian - Lima

A Quito, après avoir été manger une dernière fois avec Gabriella, nous reprenons l'avion pour Lima. Wayki et Walter nous avaient donné un rendez-vous dans une auberge, le Machu Picchu, située dans le quartier des imprimeurs, lui-même situé dans le vieux quartier de Lima. L'air sentait le papier chaud et l'encre. Toute la journée, et même la nuit derrière de lourds barreaux métalliques, des hommes s'afféraient à imprimer, couper, coller des quantités impressionnantes de papier. Calendriers, folders, flyers, livres (pirates), cartes de visite, posters, la capitale du Pérou semblait produire les imprimés pour tout le pays, voire pour tout le continent.

Les imprimeries de Lima
Certains travailleurs semblaient très jeunes. Ils exécutaient, avec une grande précision, des travaux pourtant très dangereux. Les grosses trancheuses étaient capables de couper les blocs de papier de 20 à 30 cm de hauteur. Le travail des enfants, en Amérique du Sud, est une triste réalité pour beaucoup d'entre eux. Ils exécutent les mêmes travaux que leurs aînés, et apportent un revenu parfois indispensable aux familles. en Equateur, selon des chiffres de 2002, un million d'enfants travaillait, et la majorité dans les campagnes. Certains de ces enfants n'ont pas de statut dans la société. Ils sont en grande partie analphabètes et beaucoup d'entre eux "n'existent pas". Ils sont invisibles par manque de certificat de naissance ou de pièce d'identité. Depuis, il y a sans doute eu une évolution, mais le problème ne se résoudra pas simplement en retirant les enfants de ce travail, d'autant plus que dans certains foyers, l'effort fourni par les enfants est à l'origine de 35 pour cent des revenus familiaux. Une mère témoigne : "J'aimerais que mes enfants fassent des études, mais leur destin est d'aider au travail de la maison car, autrement, de quoi allons-nous vivre ? Nous gagnons très peu, et s'ils ne travaillent pas, nous aurons encore moins d'argent." Bien sûr, tous les enfants ne travaillent pas. Nous en voyons également beaucoup en uniforme d'école. Ceci est sans doute à mettre en parallèle avec l'évolution récente qu'a connu le pays.

L'économie péruvienne est parmi les plus performantes de l'Amérique Latine. Elle repose sur les secteurs exportateurs, et sur une forte augmentation de la demande interne. Son PNB est passé de 47 767 millions de $ en 1993 à 127 598 en 2008. Mais les études montrent qu'une couche de la population reste dans la pauvreté malgré l'essor économique notable que connaît le pays. L'institut péruvien de statistiques avance un chiffre de 36,2 pour cent de personnes pauvres pour 2008. La pauvreté extrême (moins d'1 dollar par jour) s'élèverait à 12,6 pour cent pour la même année.

Lima est, comme les autres capitales sud-américaines, polluée, agitée, et de taille démesurée. Nous sommes frappés par la manière dont les quartiers sont agencés : là le quartier des artisans, là-bas le quartier des magasins de musique, et par là-bas toutes les boutiques vendent des chandelles et des figurines de Jésus. Tous ces magasins regroupés vendent les mêmes choses, la concurrence est maximale.

Mais c'est également la vivacité politique de la capitale qui m'interpelle. Alors que nous marchons en direction de la place principale, nous sommes pris dans une manifestation de commerçants ambulants qui, avec les personnes handicapées (qui sont souvent également commerçants ambulants), protestaient contre la répression policière qu'ils subissent quotidiennement.

Manif sous haute sécurité à Lima...
Private joke pour Les Humbles Tartines : On se croirait à la Bastille !

Malgré la manif à quelques mètres, au Palais présidentiel les gardes continuent  à parader comme chaque jour, sur le rythme d'une petite fanfare
Sur une autre place, un peu plus loin, un groupe d'une cinquantaine de personnes discute politique, ce qui n'est pas sans me faire penser aux Indignés européens, avec la différence notoire que beaucoup ne s'expriment pas, se contentant d'écouter le plus éloquent de tous. Marie me fit aussi remarquer qu'il n'y avait que des hommes. Je comprends, au travers de mon espagnol débutant : "Tu parles pour parler !", "Il faut en finir avec le système capitaliste.", "Que faire ?". Il faut dire que nous sommes dans le pays du Sentier Lumineux et du mouvement révolutionnaire armé de Tupac, deux guérillas communistes qui ont sévi de 1980 à 2000. Cachés dans une partie de la jungle péruvienne, ils ont pu organiser le territoire à leur avantage (tunnels, cachettes, voies de replis), et ils ont pu dès lors riposter énergiquement aux tentatives du Pouvoir de reprendre le contrôle des vallées, des fleuves Apurinac et Ene, dans le sud-est du pays. Récemment, entre 2008 et 2009, 50 soldats et policiers ont perdu la vie dans les affrontements avec la guérilla. Leur propos est clair : "la guerre populaire a commencé en 1980 et se développe avec succès, aujourd'hui, près de 10 ans après l'arrestation du président Gonzalo. Notre objectif est défini : conquérir le pouvoir et aller jusqu'au communisme, en s'appuyant sur la république Populaire de Nouvelle Démocratie (...) L'Armée de Libération Populaire s'est renforcée et a augmenté sa capacité offensive, c'est le Parti qui commande au fusil." (Mouvement populaire du Pérou, 7 octobre 2003) Ça promet...

On retrouve nos amis Wayki et David, de Montañita, quelques jours plus tard. Wayki passe nous acheter du matériel pour faire de l'artisanat : du fil à bracelet pour Marie et des fils d'argent avec des pinces pour moi. Pendant ce temps, nous allons visiter le musée de la banque centrale qui possède une belle collection d'objets pré-colombiens et de peintures.

David qui semble apprécier les sculptures devant le musée

Représentation des trois mondes selon la cosmologie andine : le serpent pour l'infra-terrestre, le guépard pour le terrestre, et le condor pour le supra-terrestre


Des voyageurs un peu comme nous...
Avec Marie, nous allons également visiter le musée de l'inquisition. 95 pour cent de la population catholique, vous vous souvenez ? Voici une partie de l'explication...

Tribunal de l'inquisition
Hérétique constitué prisonnier, privé d'eau et de nourriture
"Tu vas croire en Dieu ? Ou je tourne la manivelle... !"
Nous quittons le bruit des klaxons assez rapidement. Ici les klaxons sont utiliser pour dire : "attention", "je suis là", "à ta gauche", "à ta droite", "hey salut", "avance un peu", "je m'ennuie dans les embouteillages", "je ne l'ai pas fait exprès", "tu veux prendre le taxi ?", "bouge de là", ... ça ne nous manquera pas !

Carnet de bord de Fabian - De Baños à Quito

On quitte Baños pour Quito dans la journée. Et comme pour respecter le paysage, la compagnie de bus ne passa pas de film sur le trajet. On traverse à toute allure ces immenses étendues de grands arbres, on escalade des montagnes aux virages serrés, et on traverse des petits hameaux poussiéreux.

Le volcan Cotopaxi
Alors que l'horizon était tout dentelé de montagnes, on scrute avec Marie le paysage pour trouver le Cotopaxi, le grand volcan endormi près de Quito. Enfin ça y est, il est là, à notre droite. Durant de longues minutes, nous pouvons admirer sa parure enneigée, sans toutefois pouvoir voir son sommet, sa tête étant toujours dans les nuages.