mercredi 18 avril 2012

Carnet de bord de Fabian – Copacabana (06/01/12 – 08/01/12)

D'habitude, je déteste les postes frontières. Ils sont la cristallisation, la matérialisation d'une contradiction accablante de la mondialisation. Alors que les capitaux traversent les frontières, comme munis d'un laisser-passer international, on accorde beaucoup moins d'importance à la liberté de circuler des personnes. Au contraire : on la limite, on la contrôle, on la surveille, on la bloque. 

Toujours le même rituel. Un homme en chemise est assis dans un bocal de verre. Il ne dit rien, vous savez ce que vous avez à faire. Vous avez déjà préparé votre passeport alors qu'une longue file docile patiente devant vous. Et c'est les mains moites, qu'à votre tour, vous tendez le document. L'homme dans son bocal travaille comme dans une chaîne de montage, la pièce d'identité il la manipule, la feuillette, vérifie d'où vous venez, si la photo correspond bien à l'original. Puis, d'un geste mécanique, il écrase lourdement un tampon qui laisse sur votre document un cachet vous donnant droit à un certain nombre de jours sur le territoire. Ça y est, vous êtes certifié conforme à la circulation sur le territoire national pour un temps déterminé.

La frontière entre le Pérou et la Bolivie est de loin la plus tranquille qu'on ait pu connaître jusqu'à présent. On descend du bus pour passer le poste frontière à pied. On passe dans le bureau péruvien pour avoir le cachet de sortie du territoire, puis dans un bureau bolivien pour le visa. Ensuite nous passons sous un grand arche derrière lequel le drapeau vert, jaune et rouge nous indique qu'on est en Bolivie. Pas de barbelé, pas de hordes de militaires. On ne vous regarde pas comme si vous étiez un dangereux terroriste ou un de ces « profiteurs » étranger.

Bienvenue en Bolivie !
 Le poste frontière parait bien symbolique là, au milieu des champs, avec le grand lac Titicaca étendu entre le Pérou et la Bolivie, comme narguant cette entreprise humaine en rappelant que la nature n'a pas de frontière.
C'est à ce moment-là que nous rencontrons Sebastian et Andres, deux Colombiens, un plus petit aux cheveux courts, habillé de vêtements sobres, qui contrastait avec l'apparence plutôt extravagante de son compagnon de voyage. Andres avait des peintures sur le visage attirant l'attention de tout le monde. Pour certains c'était également une crainte qui se manifestait. « C'est une protection qu'on m'a faite au Pérou » nous explique-t-il.

On descend du bus à Copacabana, une ville touristique en bordure nord du lac Titicaca. Les Colombiens cherchaient un endroit pour camper, tandis que Delphine, la trompettiste de notre groupe de musique qui nous devançait d'un mois, nous avait renseigné un hôtel sympa pour 8 bolivianos la nuit (à peu près 1 euro). On promet aux Colombiens de se revoir.

L'hôtel se trouvait en périphérie de la ville, nous transpirons sous le soleil de plomb, mais surtout nous manquons réellement d'air à cause de l'altitude. Il faut savoir que le lac Titicaca est le lac le plus haut du monde, perché au-dessus des montagnes à 3000 mètres d'altitude. Parfois, à bout de souffle, nous posons tout notre chargement, le temps de se remettre. C'est chaque fois une certaine libération quand on trouve l'auberge sympa où on sait que notre gros sac restera quelques jours.

Arrivés à l'hôtel, Mariella nous accueille. Elle a l'air assez simpliste, et je me demande si elle est la patronne de ce lieu. L'hôtel était sale. Au bord de l'évier avait pourri pendant plusieurs jours des restes de nourriture. Prendre une douche m'avait donné l'impression d'être plus sale qu'avant, et je suis content d'être un mec et de pouvoir pisser debout. Néanmoins, il reignait une ambiance conviviale, festive et colorée à l'image des murs de cette auberge sur lesquels était peint des instruments de musique, graffés ou signés d'une pensée sur le monde et la nature. « Para el que mira sin ver la Tierra, es tierra no mas. » (Pour celui qui regarde sans voir la Terre, c'est de la terre, pas plus.) « Desde los bosques nos levatamos como arboles somos rio, sol y viento... » (A partir des bois nous nous levons comme des arbres, nous sommes la rivière, le soleil et le vent...) 

Tous les murs de l'auberge étaient recouverts de dessins et de message s sur la Pacha Mama
 Après avoir posé nos sacs dans notre chambre, nous retournons vers la ville ou plutôt vers la plage donnant sur le lac. Nous rencontrons beaucoup d'étudiants Argentins voyageant en cette période de janvier qui correspond à leurs grandes vacances. On partage mate, musique et Fernet-coca sans trop s'accrocher à cette compagnie, ayant déjà en tête l'idée de quitter Copacabana pour regagner la Isla del Sol, une grande île flanquée en plein milieu du lac.

Déjà le soleil commence à décliner pour nous offrir un magnifique couché de soleil. Les nuages forment au-dessus du lac plusieurs couches faisant du ciel une peinture abstraite voire surréaliste. Nous avons face à nous autant le soleil que la pluie, la nuit et le jour, comme dans un tableau de Magritte. Des petits bateaux de pêche ou de transport de touristes semblent déjà endormis sur le lac. 

Un paysage comme une peinture de Magritte.
 Nous faisons un petit tour des bars de la ville avant de rejoindre l'hôtel pour préparer notre sac pour l'expédition du lendemain sur la Isla del Sol. On prévoit d'arriver dans la partie sude de l'île et de marcher jusqu'à la partie nord où on a appris qu'on pouvait camper.

On embarque alors le jour suivant sur un bateau où s'entasse une centaine de touristes. 

De nombreux bateaux baladent les touristes sur le lac.
Une mamita avec son enfant profite du voyage. Je rêvasse, tantôt le regard posé sur l'horizon du loin où se dessine des côtes sauvages, tantôt sur la mamita et son gosse. Ils doivent avoir une vie tellement différente de celle des Américains, Européens, Argentins aux lunettes de soleil antireflet, le doigt posé sur le déclencheur de leur appareil photos comme sur une gâchette. 

Je m'interroge sur l'impact du tourisme sur ces communautés qui, il y a quelques années, devaient encore vivre en dehors de la civilisation occidentale.
Une mamita et un petit bout.
Avec le tourisme, de nouvelles activités remplacent la pêche ou le travail des champs : restaurants, petits magasins, centres de télécommunication, transports, agences de voyage, hôtels, auberges backpackers, ... C'est comme si deux mondes se côtoyaient sans s'interpénétrer. Je râle quand une mamita préfère me voir partir de son magasin plutôt que de me faire le prix local que je connais. Cette pratique raciste renforce encore plus le fossé entre nos deux cultures. 

La Bolivie reste un pays où l’agriculture fait vivre
Après deux petites heures de voyage en bateau, nous posons pied sur l'Ile du Soleil. Nous attendons quelques minutes que la cohorte de touristes se disperse avant de prendre le chemin pour une journée de randonnée avec comme objectif de planter la tente du côté nord de l'île. 

La magnifique île du Soleil
Nous traversons des villages ruraux indifférents à notre passage, sauf pour nous proposer une chambre d'hôtel. Nous quittons sans le vouloir le chemin et nous nous retrouvons seuls, traversant les champs; 

Tu trouveras le chemin ?
rencontrant ça et là des enfants à demi curieux et à demi impressionnés à qui nous demandons notre chemin. 

Ça monte bien ici.
Je suis impressionné par les couleurs de la roche et de ce ciel si bleu, espérant que ça dure jusqu'à la nuit pour profiter des étoiles, loin de la pollution lumineuse de la ville. 

L'air est frais et une douce odeur d'eucalyptus déborde mes narines quand nous passons à côté des forêts. 

Marie devant une foret d’eucalyptus.
 En fin de journée, on arrive aux ruines d'un temple du Soleil, d'où l'île tire son nom depuis la période des Incas. Des enfants, s'improvisant guides touristiques pour quelques bolivianos, nous expliquent, à côté d'informations un peu douteuses (« Ici les c'est l'armoire où les Incas mettaient leurs vêtements. » « Ici c'était pour leurs bijoux. »), qu'en ce lieu était pratiqué des sacrifices de jeunes vierges pour le dieu Soleil. Dans un gros rocher à proximité de la table de sacrifices, on pouvait distinguer avec un peu d'imagination la forme d'un puma et la tête d'un dieu inca. 

On plante la tente sur la plage pour apprécier le coucher du soleil sur le lac. On fait la connaissance de trois étudiants argentins avec qui on parle beaucoup du système d'éducation en Argentine.

On installe le tente sur la plage.
Quelques minutes plus tard.
 Ce lieu est devenu magique quand, après un superbe coucher de soleil, la lune quasi pleine s'est levée au-dessus de la porte du temple, illuminant le paysage d'une lumière bleutée. 

La lune se lève sur le temple du Soleil au dessus de notre campement.
Malgré le vent et le froid on parvient à allumer un feu de brindilles et de crottes de cheval séchées pour se réchauffer un peu avant d'aller s'endormir paisiblement dans notre tente. Le vent et même la grêle n'auront pas raison de mon sommeil de plomb.

On fait un petit feu pour se réchauffé la nuit. 
 Le lendemain, on sèche la tente trempée de la nuit dans le vent et dans un petit soleil de matin, avant de regagner Copacabana.

Alors qu'on venait de prendre nos tickets de bus pour La Paz, on retrouve nos amis colombiens qui avaient campé sur la place principale de la ville. Ils ont le même projet que nous de regagner la capitale de la Bolivie le lendemain.

On passe une soirée à boire de la bière légère sur la place, alors même que de nombreuses mamitas font de même en cette fin de semaine, assises chacune sur leur casier, picolant et papotant jusque tard dans la nuit. Je les imagine parler des derniers potins du quartier, de la mort d'un doyen du village, des touristes maladroits, ou plaisanter tout simplement comme on le fesait nous-mêmes.

Les mamitas n'ont pas fini de nous surprendre.

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