mercredi 18 avril 2012

Carnet de bord de Fabian – Arequipa (30/12/11 – 05/01/12)

Après quelques jours dans ce décor fabuleux, nous retournons à Arequipa. Il pleut des cordes, nous nous retrouvons sur sa majestueuse Plaza de Armas détrempés. Le Père Noël noir est toujours sous son sapin synthétique. Comme je ne veux pas retourner dans l'hôtel backpackers, je me tourne vers un gars que j'avais vu il y a quelques jours faire de la trompette dans la rue. Les musicos et les artisans sont en général de bons conseils pour des auberges bon marché et sympathiques. Il s'appelle Ezequiel et il est Argentin. Il voyage avec sa musique. Ni une ni deux, le voilà qui nous guide vers l'auberge où il vit avec un Allemand trader qui passe son temps dans sa chambre et Juan, un autre Argentin du même âge que lui qui joue de la guitare. On se pose un peu, on joue de la musique, on fait connaissance.

Un beau dessin d' Ezequiel .
Un peu fatigués de la pluie, et n'ayant jamais vécu de nouvelle année sous le soleil, on passe acheter un billet pour Camana, LA ville où beaucoup de jeunes se rendent pour fêter la nouvelle année. Ici, pour beaucoup, fêtes de fin d'années riment avec fiestas à la plage. Se disant que ça valait sûrement le détour, nous voilà embarqués dans un bus qui traverse pendant plusieurs heures des déserts de pierres et de sable, avant qu'on puisse apercevoir la côte. Si je peux être très critique vis-à-vis des lieux touristiques, pour leur manque d'authenticité et leur côté Disney Land, Camana m'a semblé extrêmement hostile. « Mala onda » comme on dit ici : tous les hôtels avaient quadruplé le prix de leurs chambres pour l'occasion, et les trois seuls artisans sur la place principale n'ont pas plus d'idées que nous d'où dormir. On loue finalement une chambre de bonne dont les murs étaient une simple planche de bois.

La majorité des gens venaient d'Arequipa ou des environs. Il y avait beaucoup de groupes de jeunes étudiants, picolant déjà bien pour une veille de nouvel an. Ayant envie de quitter ce qui ressemblait étrangement au Carré de Liège, on veut se rendre à la plage. Cependant, la mer n'était même pas à proximité immédiate, mais se trouvait à une demie heure de collectivo de là. On mange tristement un « arroz con pollo » en partageant ce sentiment de ville qui nous tourne le dos. On décide d'en faire de même et de retourner dès le lendemain à Arequipa, histoire de profiter du nouvel an avec les musicos rencontrés deux jours avant.

On fait de la musique, on parle et surtout... on boit des litres de maté argentin.
On les retrouve sourire aux lèvres le soir suivant, et on passe une bonne soirée bien alcoolisée sur la place où se trouve ceux qui n'ont pas été jusqu'à Camana pour fêter la fin de l'année. Les feux d'artifices sauvages étaient de la partie, de même que de nombreuses guirlandes, cotillons, et habits de couleur jaune sensés apporté du bonheur pour l'année qui vient.

On reste quelques jours à Arequipa, avec Ezequiel et Juan, je découvre la musique de Calle 13, Morodo, Resistencia Suburbana, et de beaucoup de groupes de musique qui dénoncent l'exploitation de la planète, la corruption des gouvernements, l'oppression des indigènes, et la pauvreté. On passe des heures avec Ezequiel à parler de l'exploitation minière ou des systèmes dictatoriaux qui gouvernaient les pays d'Amérique Latine il y a encore quelques années. Ensuite, pour beaucoup de ces pays, « démocracie » a rimé avec ultra-libéralisme. Après la dictature militaire, l'Argentine a dû subir la dictature de marché, à qui le gouvernement de Menen revend la plupart des entreprises de l'Etat : gaz, pétrole, train, télévision, à prix bradés, recevant les félicitations du FMI et de la banque mondiale. A la création de l'Argentine, toutes les richesses du sol appartenaient à l'Etat. Dans les années 1990, Menen revend toutes les richesses à l'étranger et fait promulguer une loi disant que toute la richesse du sol ne peut pas servir à l'exploitation par l'Etat. La trahison est immense, Menen fait passer plus de 300 « decreto ley », des lois qui ne demandent même pas de vote du parlement pour être mises en application... pour forcer des réformes antisociales.

L'homme gère la politique spectacle, parade avec les Rolling Stones pour cacher cette « mafiocratie », pour cacher la vente illégale d'armes à l'Equateur ou le génocide social au nord de l'Argentine où meurt 35 000 personnes à cause de la malnutrition.

Un pays si riche, des gens si pauvres. La démocratie a été accompagnée d'une tempête libérale. Cependant le peuple argentin n'est pas resté résigné devant cette prédation capitaliste. L'histoire de l'Argentine est également faite de soulèvements, dont celui de 2001, alors que les banques font faillite. Contrairement à l'Europe, l'Etat n'a pas les moyens de sauver le système et les petits épargnants sont également touchés. Malgré la répression sanglante, le peuple descend dans la rue, bloque les routes. Chômeurs, travailleurs précaires, artistes, paysans, étudiants, retraités, tout le monde est dans la rue. La pression est si forte que le 20 décembre 2001, le président s'échappe du palais présidentiel assiégé, en hélicoptère, sous les yeux des manifestants victorieux.

C'est la première victoire de l'Argentine contre la globalisation, s'en suit la politique del’ancien ministre de l’Economie argentin, Roberto Lavagna, qui a sorti son pays de la crise en 2002, en se passant des services du FMI. Il explique dans un entretien : « Dès mon entrée en fonction, en avril 2002, j’ai décidé de changer radicalement notre manière de penser la sortie de crise.. Le mois suivant, j’étais à Washington pour rencontrer les dirigeants du Fonds monétaire international et leur expliquer que nos rapports allaient s’en ressentir. Depuis le début du marasme économique, en 1998, nous avions déjà eu deux programmes du Fonds pour un total de 51 milliards d’euros. Les deux ont été des échecs retentissants et certaines voix s’élevaient pour demander une troisième tournée de quelque 17 milliards supplémentaires. Je n’ai pas voulu suivre cette voie et j’ai expliqué au Fonds que nous ne voulions plus de prêt et que nous sortirions seuls de la crise. La seule chose que j’ai demandé était un roll over partiel de toutes les échéances. Je me suis également engagé à payer les intérêts de la dette et une partie du capital. Mais pas tout et pas tout de suite. Cette position était tout simplement impensable pour le FMI car nous affichions notre volonté de fixer nous même notre propre politique économique. J’ai du leur expliquer trois fois de suite ma position avant qu’ils finissent par comprendre. A partir de là nous avons arrêté de soutenir financièrement les banques alors que le FMI nous l’imposait, exigeant même que nous privatisions la Banque de la Nation. » (Source : http://gauche2012.wordpress.com/2012/02/26/crise-grecque-lexemple-argentin/)

Même, si les inégalités sociales sont toujours très importantes en Argentine, le pays est devenu un exemple pour beaucoup d'économistes de gauche, surtout quand une crise économique du même type s'abat sur l'Europe.

Fab s'intéresse à la politique, dur, dur les journaux en espagnol !
Christina Krichner, l'actuelle présidente d'Argentine, du parti peroniste (une politique particulière à l'Argentine), « n'est pas mal » selon mon ami Ezequiel. Elle a par exemple instauré « l'asignacion universal para hijos », une aide gouvernementale de 300 pesos par enfant pour les familles dans le besoin.

Si les effets néfastes de la globalisation sont particulièrement criants en termes d'inégalité sociale et de destruction de l'environnement, il y a aussi, sous la pression populaire, des gouvernements qui osent défier le grand Capital. Beaucoup de pays d'Amérique Latine résistent de la même manière à l'instar d'Evo Morales, le président de Bolivie, qui reprend au nom du gouvernement, le premier mai 2006, tous les champs pétrolifères aux entreprises étrangères, et utilise la rente pétrolière pour des plans sociaux. Il a également passé cette année une loi qui accorde des droits à la nature.

Si l'homme ne peut que fuir devant un volcan en éruption, il n'est pas aussi démuni face à la mondialisation. Il peut devenir la lave en fusion, capable de venir à bout des dictatures les plus cruelles et des systèmes les plus installés. La politique économique est une construction humaine éphémère, et il suffit parfois d'un vent de révolte pour qu'il perde sa fierté et son apparence infaillible.

Nous quittons Arequipa quelques jours plus tard, pour prendre un bus qui nous amènera en Bolivie.

Malgré certaines évolutions, la fracture sociale reste très importante.

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